LE COSMOS DU BOIS
La sculpture de Zigor évolue dans le champ de la nonfiguration et, fondamentalement, dans celui de l’abstraction lyrique avec parfois des accents informels engendrés par sa spontanéité créative, la force de son geste, de son intuition et sa manière de valoriser les textures naturelles.
Son travail suppose, sans mimétisme aucun, des références à des formes qui existent dans la nature, des formes végétales et organiques présentes dans les forêts ou les paysages de la terre
basque. On peut parler d’organicisme.
L’artiste poursuit la tradition moderne et contemporaine de la sculpture basque en transformant ses pièces en authentiques symboles du travail du Pays Basque. Son oeuvre sculptée se
caractérise de préférence par son caractère expressif qui procède de son intérêt pour les formes vivantes, organiques ou naturelles qui existent dans son environnement.
Son expressionnisme classique nous renvoie à l’aphorisme que « la nature imite l’art ». Les arbres sont traités par l’artiste de telle manière que les traits expressionnistes qui les distinguaient
à l’origine s’en trouvent renforcés.
Dans ce symbolisme organiciste le sculpteur nous fait découvrir une nouvelle vision de la nature avec son développement de formes en tension ou sa concentration de forces dans le noyau de la masse qui naissent d’un élan symbolique. Sa sculpture possède aussi un caractère basque traditionnel car l’artiste vit très directement en rapport aux traditions culturelles du Pays Basque avec « les mythologies de l’arbre enraciné dans l’ancienneté de la terre et de la force de l’homme ».
Les références organiques et naturelles apparentent une très grande partie de sa production à l’abstraction physiologiste ou au symbolisme organiciste. L’artiste utilise quasi exclusivement
le bois qu’il transforme en symbole d’enracinement culturel et le traitement qu’il lui fait subir valorise sa qualité, son épaisseur, ses veines, sa rugosité, sa couleur et fait ressortir l’importance de ses textures.
Certaines sculptures de Zigor présentent des formes biologiques qui sont autant d’étranges organes viscéraux dans lesquels le volume s’épanouit dans l’espace environnant et établit des contacts avec lui. Les liens les plus étroits existent alors entre matière et espace, y compris à partir de formes en tension qui, dotées d’une forte puissance interne, se répartissent dans l’espace pour mieux s’y déployer.
D’autres sculptures nous renvoient à des éléments populaires et aux formes baroques des troncs des forêts du Pays Basque, notamment de la Navarre et de la Soule. Des troncs nus des forêts basques sont taillés, magnifiés et élevés à une vie nouvelle par la main du sculpteur – aizkolari. Zigor a beaucoup appris de l’ambiance artistique moderne et contemporaine de son pays mais aussi de ses traditions et son environnement qu’il complètera de son expérience personnelle pour créer son propre style. Son interprétation de l’espace, de la matière, du mouvement, de la lumière et de la couleur met son oeuvre en rapport avec l’essence de la sculpture basque contemporaine tout en la différenciant par ses qualités propres.
Le traitement particulier de l’espace dans la sculpture de Zigor passe par des étapes distinctes. L’espace est marqué par des volumes qui donnent naissance à des points de tension. Dans ces pièces, les éléments formels ont une très grande importance car la puissance et l’énergie interne de ces formes incitent la masse à se dilater depuis son noyau vers l’extérieur pour établir une pluralité de contacts avec l’espace qui est ainsi altéré, percé et malmené.
L’espace peut être constitué de formes en tension et fait partie de l’intérieur de la sculpture ou l’espace peut se déplacer vers d’autres éléments formels toujours dans son rapport à la masse à travers les surfaces.
Dans ces oeuvres l’espace est une composante de la sculpture et participe de l’intérieur de celle-ci. La sculpture établit un rapport de tensions entre la masse et l’espace et les zones de tension sont multiples et signalées dans l’espace par les volumes et leurs extrémités. Ces pièces dénotent les préoccupations spatiales ressenties par l’artiste.
Mais, parfois, le spatialisme de sa sculpture n’existe plus, ou presque plus, parce que l’artiste a quasiment évacué toute indication spatiale dans son rapport à la masse dense. Ces sculptures abandonnent les relations volumétrico-spatiales de tension et accordent une plus grande importance à la masse au détriment de l’espace. Dans cette perspective, Zigor ne cherche pas fondamentalement à mettre en valeur la dimension spatiale de sa sculpture car il mène plutôt des recherches sur la forme.
Il s’efforce de mettre en évidence la situation compacte de la forme avec sa nature musculaire et sa morphologie interne. Le caractère compact de ce type de sculptures surgit de la proximité de nombreux volumes, non pas assemblés entre eux, mais taillés dans une pièce unique. Parfois, des angles saillants et rentrants continuent de déterminer l’existence de rapports de tension entre l’espace et les formes.
Le caractère massif et organique de sa sculpture, sa formation avec des volumes différents et l’absence d’espace à l’intérieur contribuent à l’apparition d’une sculpture robuste, vigoureuse,
à l’émotivité tendue dans laquelle la taille directe du sculpteur – aizkolari laisse à peine entrevoir le passage du vide dans l’étreinte effusive qui lie et réunit ces formes.
Le sculpteur dépasse alors ses préoccupations spatiales par la concentration de la masse et le vide affleure très timidement vers l’extérieur. Le caractère organique des formes sculptées surgit
d’une inspiration de la nature et de l’impulsion de son geste qui sont le résultat de l’intuition plutôt que d’une analyse rationaliste. Le langage expressif des formes et de l’espace, la multiplicité des volumes, l’avènement d’un ordre naturel plutôt que rationnel, rapprochent ce travail du traitement que ces éléments reçoivent dans la sculpture informelle.
Si les formes de ses sculptures rappellent des éléments naturels ou, parfois, des instruments traditionnels, le bois et le traitement qu’il subit contribuent à raffermir les liens d’union de cette sculpture avec la tradition basque. Le bois, généralement le platane, le hêtre, le cyprès, le châtaignier et le laurier, est transformé en symbole moderne d’enracinement culturel spécifique par cet artiste sobre, robuste et direct qui préfère les formes naturelles des gros troncs, dotés d’une grande expressivité, qu’il marque à son tour par ses coupes fermes, l’élimination de l’écorce et la composition des volumes. Le bois est poli, présentant des surfaces douces qui donnent une impression d’usure et d’érosion comme s’il s’agissait du passage du temps. Les surfaces sont parfois brûlées au chalumeau ou traitées avec de la cire. Mais Zigor aime aussi le matériau brut, dépourvu de raffinements, dont les surfaces sont marquées par le passage de la hache, la tronçonneuse, la gouge et autres instruments de travail.
Son traitement particulier du bois démontre le grand poids qu’exerce sur lui la tradition et l’environnement basques sans omettre sa fascination pour la poésie de l’outil de l’artisan. Il fait émerger des formes naturelles liées aux origines de la matière traditionnelle qu’il utilise en harmonie avec un contexte culturel, ethnique ou géographique spécifique.
Dans la sculpture de Zigor, le temps et le mouvement, intimement liés à l’espace, sont ici des catégories déterminées par l’exigence du déplacement du spectateur autour de l’oeuvre puisque la masse volumétrique et les vides, quand ils existent, ne se succèdent pas toujours de manière complémentaire et répondent plutôt à des compositions organiques qui introduisent toutes les variantes possibles. Le mouvement est implicite dans toutes ces pièces même s’il n’est jamais réel. Le dynamisme est de type formel, il est obtenu en vertu de l’énergie interne des sculptures que vient renforcer la puissance de développement des formes dans l’espace. Ces formes organiques, tendues, courbes, regroupées en une suite d’éléments, favorisent dans l’ensemble de l’oeuvre de nombreuses sinuosités au dynamisme incontestable.
La lumière est un facteur qui contribue à accentuer le caractère organique et expressif de ces pièces. L’aspect formel des volumes complexes des sculptures est rehaussé par les contrastes
de lumière et d’ombre qui se limitent tantôt aux surfaces accidentées tantôt à l’alternance de la masse et du vide, auquel cas, le contraste de la lumière et de l’ombre est plus prononcé. Zigor parvient à créer une sculpture monumentale indépendamment de ses dimensions. Malgré la grandeur moyenne de certaines d’entre elles, elles sont, en puissance, monumentales.
Le processus de création mis en oeuvre par Zigor dans son travail, fondé sur l’action, le geste et l’intuition, se rattache à l’élan romantique qui consiste à donner une expression nouvelle à la vieille tradition populaire. Zigor, sculpteur viscéral, nous offre des oeuvres modernes, rustiques et telluriques, qui sont en communion avec les éléments traditionnels du travail du bûcheron. Sa sculpture naît comme existence vitale, elle descend jusqu’aux racines de l’autochtone et, par conséquent, de l’universel, non pour créer mais pour transformer son environnement en une synthèse dialectique entre l’homme et son essence mais aussi entre l’homme et sa réalité sociale, culturelle et politique.
Jean-François Larralde,
Historien d’art